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Journal d'un végétarien
25 janvier 2013

Viande, la nouvelle guerre de religion

Végétariens et carnivores s'affrontent sans ménagement. Enquête sur un phénomène.

 

Visite surprise de François Hollande à Rungis le 27décembre 2012.

Visite surprise de François Hollande à Rungis le 27décembre 2012. © Benoit Tessier/AFP

 

Avant Noël, ils militaient à coups de prospectus contre l'insoutenable gavage des oies; au Nouvel An, ils réveillonnaient 100% végétarien dans le restaurant Soya, à Paris... Depuis quelques années, ils ont banni la viande de leurs assiettes et ne s'en cachent plus. Le mouvement des "no meat", comme on les surnomme dans les pays anglo-saxons, où il puise ses racines, fleurit en France. Si elles ne franchissent pas encore le seuil des 2 % de la population - contre 10% en Grande- Bretagne, par exemple -, les associations végétariennes comptent sans cesse plus d'adhérents: 3 000 pour l'Association végétarienne de France. Et dans notre pays d'éleveurs et de chasseurs arc- bouté sur ses traditions, c'est une petite révolution.

Ce qui a affûté les consciences ? D'abord des ouvrages qui ont eu l'effet d'une bombe. Le "Faut-il manger les animaux ?" du New Yorkais Jonathan Safran Foer, sinistre plongée dans les coulisses de l'élevage américain, puis "Bidoche", du militant écolo Fabrice Nicolino, qui révélait l'envers du décor de l'industrie de la viande en France. Et voilà deux autres livres dont Le Point publie en exclusivité les bonnes feuilles : "No steak", le plaidoyer du journaliste Aymeric Caron (1), et l'enquête sur le halal de Michel Turin (2). Le tout dans le sillage d'une série de scandales sanitaires qui a instillé le doute sur la vraie nature de notre steak. Notre consommation de viande rouge ne cesse de baisser. "Cela s'explique davantage par la généralisation des modes de vie urbains et par des raisons économiques liées à son prix", nuance Pierre-Michel Rosner, président du Centre d'information des viandes (CIV).

Il n'empêche, les mentalités évoluent. Des menus sans viande s'af- fichent sur les cartes des restaurants étoilés .A Nice, Jean Montagard fait redécouvrir les légumineuses ; à Paris, on ne raconte plus la conversion d'Alain Passard, qui aurait retrouvé l'inspiration dans le rutabaga et le topinambour, et c'est à Jérôme Banctel, bras droit de Senderens, que Cyril Aouizerate, le patron végétarien du très branché Mama Shelter, a fait appel pour son premier vegan fast-food parisien. "Nous voulions sortir des clichés et montrer que le végétarisme peut être joyeux", dit-il. La tendance gagne les cantines. A Paris, le maire du 2e arrondissement, Jacques Boutault (Europe Ecologie-Les Verts), a imposé les "mardis végétariens".

Santé

Tous, végétariens endurcis ou convertis de fraîche date, disent vouloir "en finir avec les idées reçues". A commencer par : "La viande, c'est bon pour la santé." Ils expliquent, études à l'appui, que la surconsommation de viande favorise les maladies cardio-vasculaires et certains cancers. "Ces recherches n'ont pas été menées sur des Français et l'élevage américain, avec ses parcs d'engraissement intensif, n'a rien à voir avec le nôtre", rétorque le président du CIV. En France, l'Institut national du cancer considère toutefois qu'une consommation excessive de viande rouge favoriserait l'apparition du cancer colorectal (lire p. 60). Contactée, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, refuse de s'exprimer sur le sujet.

Un débat tabou ? "Les liens entre l'Etat, le lobby de la viande et l'industrie agroalimentaire sont très forts, commente Fabrice Nicolino. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, pour peser dans le marché communautaire naissant, la France a fait le choix du tout-carné. L'industrie laitière nous a fait consommer du lait et de la vieille laitière usée." Certains militants envisagent même de déposer un recours contre le Programme national nutrition-santé, qui encourage à consommer des protéines animales une ou deux fois par jour. Et qu'importe si, au ministère de l'Agriculture, on explique qu'il s'agit de promouvoir une alimentation équilibrée. Là où les ayatollahs du soja sont le plus convaincants, c'est sur l'argument écologique. Manger autant de viande est un désastre, et c'est de toute façon intenable. Avec 9 milliards d'humains en 2050, il sera impossible de nourrir avec des protéines animales toute l'humanité. Comme le souligne Aymeric Caron, le modèle carné, qui occupe les trois quarts des terres agricoles de la planète, s'avère peu rentable : "Il faut entre neuf et onze calories d'origine végétale pour obtenir une seule calorie d'origine animale."

Déforestation

Selon la FAO, les élevages sont déjà responsables de 70 % de la déforestation. Si l'on tient compte de l'azote des engrais chimiques, du gaz carbonique lié à la production de nourriture et au transport, du méthane des pets et rots de vache et de la fermentation des déjections animales, l'élevage serait responsable pour 18 % des gaz à effet de serre. Plus que tous les transports sur la planète ! Au ministère de l'Agriculture, on dit avoir pris le problème au sérieux. "Nous encourageons l'autonomie fourragère dans les exploitations, cela permet de limiter la dépendance au soja importé et présente aussi un intérêt environnemental car, si on cultive des légumineuses, on fixe l'azote dans le sol et donc on limite le recours aux engrais", détaille Philippe Mauguin, le directeur de cabinet de Stéphane Le Foll.

Un autre argument se fait entendre, celui de la souffrance animale. Tout a été fait pour nous faire oublier la mort de la "bête", la viande était "désanimalisée", le steak ou le jambon sous cellophane nous donnait bonne conscience. Le récent reportage d'"Envoyé spécial" montrant dans les abattoirs des bêtes égorgées à vif, saignées en pleine conscience, en infraction avec la réglementation, a provoqué un électrochoc, en même temps qu'il lançait la polémique sur les conditions d'abattage de la viande halal. Laquelle est devenue un business propice aux dérives. L'évolution des mentalités bouscule aussi le droit.

Rentabilisation

Des lois sont votées pour mieux protéger les animaux domestiques des mauvais traitements. C'est tout notre rapport à l'animal qui doit changer, plaide la philosophe Marcela Iacub. Le rouleau compresseur des vidéos diffusées sur Internet par l'association de protection animale L214 montrant des élevages de poulets rachitiques dans des cages lilliputiennes ou des cochons piétinant leurs fientes ont terni l'image du bonheur dans le pré. "Les élevages sont devenus des usines à viande et l'animal, gavé d'antibiotiques, une matière première au service de la rentabilisation", dénonce Jocelyne Porcher, ancienne éleveuse, chargée de recherches à l'Inra. "Près de 40 millions d'euros en 2012 ont été mobilisés par l'Etat pour aider les producteurs de porcs à se mettre aux normes en termes de bien-être des animaux : les truies gestantes sont désormais dans des logements collectifs", renchérit Philippe Mauguin.

Reste un point sur lequel tout le monde s'accorde : en finir avec l'élevage industriel intensif. "Il faut rendre à l'élevage ses lettres de noblesse, à la fois pour le respect de l'animal et pour restaurer la dignité de l'éleveur", commente Jocelyne Porcher. En Alsace,Thierry Schweitzer élève dans des conditions trois étoiles 300 truies sur paillis et en plein air. "Nous ne sommes qu'une minorité, regrette le boucher des stars Yves-Marie Le Bourdonnec. Après la crise de la vache folle, les Anglais ont fait table rase de leur modèle industriel." À méditer.

1. "No steak", Fayard, 360 p., 19 euros. 2. "Halal à tous les étals", Calmann-Lévy, 320 p., 18,90 euros.

Par

Source: http://www.lepoint.fr/societe/viande-la-nouvelle-guerre-de-religion-18-01-2013-1616775_23.php

 

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